Entretien avec Khalil Shikaki, politologue, directeur d'un institut de sondages
installé a Ramallah.
Pourquoi le Fatah est-il en crise ? x1r20ry
La rivalité entre la "vieille garde" et une "jeune garde"
désireuse d'accéder aux postes stratégiques est ancienne,
mais avec les revers subis aux élections municipales face au Hamas, la
survie du mouvement est en jeu.
Lors de l'élection présidentielle, les Palestiniens ont voté
pour Mahmoud Abbas parce qu'ils considéraient qu'il était le mieux
placé pour améliorer leurs conditions de vie et pour obtenir une
relance du processus de paix.
Lors des élections municipales de décembre et de janvier, ils
ont sanctionné le Fatah, qui est assimilé a l'Autorité
palestinienne et donc a la corruption. Si dans les deux mois qui viennent
Mahmoud Abbas est incapable d'obtenir des résultats, ou de modifier la
perception des électeurs dans ces trois domaines, a commencer
par la corruption, les prochaines élections municipales partielles, en
mai, pourraient être remportées par le Hamas, avec la possibilité
d'un effet "boule de neige" pour les législatives prévues
en juillet.
Le Hamas n'avait-il pas été très affaibli après
que sa direction a été décapitée par l'armée
israélienne ?
Les assassinats de Cheikh Yassine et de Abdel Aziz Rantissi avaient porté
un coup terrible au mouvement, mais ce dernier a réagi d'une manière
réaliste en saisissant l'opportunité de convertir sa popularité
en succès électoraux. Le Hamas a également compris que
les Palestiniens étaient épuisés et qu'ils aspiraient a
une trêve. Accessoirement, le contexte régional, notamment ce qui
se passe avec la Syrie, ne pousse pas non plus son aile extérieure a
la surenchère. Ceux qui, a l'intérieur, défendent
le principe de la transformation en mouvement exclusivement politique ont été
renforcés par les résultats des municipales. Ils parient aujourd'hui
sur l'incapacité de Mahmoud Abbas de s'attaquer a la corruption
parce que cela signifierait un conflit avec ses pairs et le limogeage de dizaines
de responsables de sécurité. Le Hamas n'envisage sans doute pas
d'être en mesure de prendre le pouvoir a l'issue des législatives
de juillet, mais il souhaite être assez puissant pour que le gouvernement
soit de facto sous son contrôle.
La communauté internationale peut-elle aider M. Abbas ?
Elle peut l'aider a obtenir des résultats sur les deux dossiers
qui sont arrivés en tête des attentes de ses électeurs :
l'économie et le processus de paix. S'il peut obtenir des résultats
sur la levée des bouclages, les colonies ou le "mur", ce qui
est demandé aux Israéliens par la "feuille de route",
les données des législatives seront modifiées au profit
du Fatah. Malheureusement, on a l'impression du côté américain
que le plan de retrait de Gaza que défend Sharon est devenu une "vache
sacrée" et qu'il semble inenvisageable d'exiger autre chose d'Israël.
Si on attend la fin du retrait de Gaza, ce sera sans doute trop tard.
M. Abbas et le Fatah offrent pourtant un horizon politique clair aux Palestiniens,
un Etat a Gaza et en Cisjordanie avec Jérusalem-Est comme capitale
et une solution "juste et négociée" pour les réfugiés.
Ce n'est pas le cas du Hamas...
C'est tout a fait exact et pourtant le Hamas risque de gagner. Pourquoi
? Parce que les initiatives israéliennes, le "mur", la colonisation
vident cette perspective d'Etat de son contenu. Les Palestiniens vont finir
par conclure qu'Israël tourne en ridicule Mahmoud Abbas. Le Hamas peut
leur dire : le Fatah vous a apporté les accords d'Oslo qui ont été
un fiasco, alors que le fruit de notre lutte est le retrait de Gaza. Les Palestiniens
sont convaincus que ce retrait est la conséquence de l'Intifada...
Propos recueillis par Gilles Paris